EXILS DE LA LANGUE

Publié le par daniel Maragnes

" La nostalgie a l'air de bercer un enfant mort, et tout le monde rit ou pleure, les uns parce qu'ils croient que l'enfant est mort, les autres parce qu'ils croient qu'il est vivant." Michel Neyraut


La double étymologie
 Les mots ont sans doute deux étymologies. L'une savante et publique inscrit le signe dans une mémoire. Le mot y avoue son histoire, avance une polysémie probable, ouvre au secret d'un sens peu à peu oublié. Le mot est ainsi témoin d'une expérience perdue du langage, et nous montre que la langue ne cesse de jouer avec le sens, sous une garde lointaine et première. La fascination pour l'étymologie vient peut-être de cela, qu'elle semble témoigner abusivement d'une naissance du signe à un sens qui serait incontestable parce qu'évidemment premier, d'une certaine manière sans retour.
Et pourtant nous parlons presque toujours dans l'oubli de toute étymologie. Cette étymologie est cependant la preuve de ce que nous acceptons du passé de la langue, dans la communauté où la langue parle à celui qui entend au même titre qu'à celui qui parle. Dans le même horizon où ne se dit pas seulement ce qui s'énonce, mais autre chose en deçà, d'inaudible et de tellement vivant toutefois, même dans l'erreur (volontaire?) des proximités phoniques.. En témoigne l'extraordinaire présentation dans le Cratyle, par Platon de l'étymologie de sôma (le corps). Où il apparaît que sôma (corps) se réfère d'abord à sèma (tombeau); le corps comme tombeau de l'âme. Puis à sèma (signe), puisque le corps est ce qui au nom de l'âme fait signe. Le corps est donc ainsi tombeau et signe grâce à la polysémie de sèma /.
L'une des richesses — parmi d'autres — du Cratyle, bien au delà de la valeur parfois douteuse des étymologies évoquées, est de nous guider dans ces probabilités de sens qui font la richesse même de la langue en son for intérieur, c'est-à-dire là où la littérature est possible, en marge de la sécheresse nominative d'un discours qui prétendrait dire et montrer les choses.
C'est là que commence toute littérature, dans cet autre paysage fait de dialogues et de rencontres entre les signes. Rencontrer le texte littéraire, c'est donc délibérément abandonner les choses au bénéfice des signes, c'est disons-le déjà, accepter, à ses propres risques, de s'exiler dans le langage.
L'autre étymologie, plus secrète encore, est faite de la rencontre toute personnelle avec certains mots. Le mot se prête ainsi à un autre sens, dont l'inexactitude sémantique est relayée par une exactitude affective qui lui confie une autre valeur, aussi assurée pour chacun que celle qui s'établit, ailleurs, pour la communauté.
Loin d’en être parallèle, l’étymologie officielle vient s’affronter à elle. Elle tâche de l’invalider, de l’intimider, lui opposant l’autorité de la norme. C’est à cette intimidation qu’échappe la littérature, jouant à la frontière, faisant de la langue la tentative espérée de l’être pour se dire.
Cette étymologie, pour ainsi dire personnelle, inscrit le mot dans une enfance qu'il ne quittera peut-être jamais, et que nous sommes sans doute incapables de transmettre quand nous parlons. C'est pourtant à cette exigence là que se réfère la parole quand elle désire être pleinement entendue, quand elle veut attirer vers soi celui qui nous fait l'amitié de l'écoute.
Dans ces rares moments, rares et risqués, impudiques et généreux, où nous parlons sans nous soucier des remparts, quelque chose tente de se dire de l'enfance de ses rencontres premières où nous sommes nés aux signes dans ces moments émerveillés où le sens se constitue, où nous passons de la définition à la signification — c'est-à-dire de la froide objectivité , neutre et empesée du concept au mouvement imprévu et inédit de la signification.

L'exil et la langue
Ainsi, dans l'exil géographique, quand l’homme quitte sa communauté, la langue ne fait pas qu'accompagner l'exilé. Elle est ce qui résiste à l'exil, pas seulement parce qu'elle est le moyen par lequel la nostalgie se réalise, ce grâce à quoi l'esprit revient à la terre. Elle — la langue — résiste à l'exil parce qu'elle est constituée par ces enracinements qui ne peuvent s'embrigader dans "l'histoire officielle" de la langue, parce que ces enracinements sont des enracinements de l'enfance.
L’enfant qui d’une chanson parlant des “ oiseaux dissidents ” entend avec assurance les “ oiseaux d’ici-dans ” ne fait pas à proprement parler un contresens, il réalise autrement le texte, pour son imaginaire. Surtout, il décide que pour lui, dorénavant, il ne peut plus être question de la dissidence autrement qu’avec cette allusion “ étrange ” de sa première surprise phonique. Il découvre, ainsi que le suggère Jean Laplaine, que ce que cache l’arbitraire du signe, c’est bien la liberté du signifiant. Parler, c’est jouer avec les mots. Ce savoir-faire qui travaille les similarités phoniques on le retrouve chez cet autre qui, dans la prière du matin, aura toujours entendu et répété “ sur la terre commaucielle ”. Vingt ans plus tard, il avoue être toujours déçu de la perte de cet adjectif merveilleux qu’il aura peuplé de toutes les déclinaisons du sacré et qu’on veut lui voler en lui disant que simplement il ne s’agissait que de “ sur la terre comme au ciel ”.
Il y a ainsi quelque chose du secret de soi qui se garde dans la langue, et qui n'est pas un référent auquel la langue renverrait. Ce secret est dans la langue , —aussi serré que les fils d'un tissu—, en sorte qu'on ne pourrait point l'extraire sans agresser la langue elle-même.
Quand Hélène Levillain, dans Le Rituel poétique de Saint-John-Perse, parlant de l'exil du poète, écrit que "la rupture avec les valeurs de la terre-mère est la première et nécessaire épreuve pour celui qui désire atteindre maturité d'homme, c'est à-dire prendre conscience de sa vraie vocation /", sans doute aurait-elle pu s'interroger sur la nature de cette rupture, et ce qui reste sauf malgré elle. Car quelque chose demeure en deçà des nominations, en deçà de ce qui pourrait être gommé ou interdit. Ce secret de soi est le secret de la langue.
L'exil travaille donc la langue, à la fois pour la retenir et pour l'arracher à son origine. Il met à jour cette nouvelle connivence entre le sujet et la langue dont il découvre soudain ce qu’elle a de précieux au milieu d’un monde hostile. En cela, l’exil géographique retient la langue. Mais, dans le même temps, cet exil concourt à arracher le sujet et sa langue à leur origine. Cet arrachement éloigne le sujet de lui-même, perte des traces, désir de s'approprier fantasmatiquement ce qui se joue dans la langue de l'autre, mais dont il est toutefois irrémédiablement séparé. Dans l'assimilation la mieux réussie, qu’elle ait lieu dans l’exil géographique ou dans le pays natal, cet écart subsistera. Jamais l'on ne remontera jusqu'à l'enfance de la langue de l'autre, jamais on ne vivra à son tour cette enfance. On aura beau parcourir lentement, minutieusement, la mer qui sépare nos lieux, cette distance demeurera qui rend toujours l'Un impossible. Et quand on nie cet écart ce n'est que pour le répéter, dire dès lors qu'il est inaliénable.
Dans l'usage de la langue, l'exil va vivre cette tension qui veut arracher la langue à son secret, la conduire à l'oubli, c'est-à-dire l'intégrer, l'assimiler. De telle sorte que la langue ne se souvienne même plus d'elle-même, car ce qui est visé n’est pas ce vers quoi elle remonte, le souvenir d'une histoire, le nom d'une plante, la manière d'une cuisine. Ce que l'exil veut nier c'est la condition même de tout cela, la langue en sa naissance affective, d'une certaine manière privée, d'une certaine manière publique.
A la question : "jusqu'à quand es-tu né à ta langue ?" l'exilé sait que la réponse, la seule, est de dire "jusqu'à la mort ". Il sait que même dans les oublis que ne vont pas manquer de lui rappeler les souvenirs qui s'estompent, se diront encore et encore ses venues premières à la langue.
De là vient l'une des raisons de la douleur irrémédiable de l'exil. Que peut-on contre la violence de cette présence à soi, au plus intime, de la langue? Le trouble de la langue naît sans doute davantage dans l'exil quand sans cesse se laisse entendre la singularité de "sa" langue. Quand cette langue est apparemment la même que la langue de l'autre, c'est d'autant plus troublant. On croit à la proximité, à la ressemblance, mais on échoue là, à la manière des esquifs qui touchent malgré eux le sable, et qui s'enfoncent avec le temps. L'exil accentue alors les prestiges de la différence, bien autrement pourtant que dans le charmes de l'exotisme. L'étrangeté est ici plus forte tandis que les désirs mimétiques ne trouvent aucun miroir possible, nul écho.
Ségalen, définissant l'exotisme, affirmait qu'il n'est pas " une adaptation : n'est donc pas une compréhension parfaite d'un hors soi-même qu'on étreindrait en soi, mais une perception aigüe et immédiate d'une incompréhension éternelle /". C'est le maintien de cette distance, de cette différence qui rend possible la perception du Divers, puisque l'exotisme est bien, selon lui, le sentiment que nous avons du divers, "de la pureté et de l'intensité du Divers" /
C'est le maintien de cette distance que pense la langue de l'exil, qui crée à l'étranger cette ambassade peut-être nécessairement bruyante et que reconstituent les rencontres où se parle la langue de l'exil /. Mais cette distance maintenue ne saurait être au nom d'une pureté que chacun maintiendrait et garderait comme une relique sacrée. Pureté devant laquelle chacun monterait la garde face à la contamination toujours menaçante.
Mais l’exil ne commence-t-il qu’avec le départ? Cesse-t-il avec le retour?

L'exil, ici, aussitôt.
Si l'exil est, ainsi que le souligne Edmundo Gomez Mango, l'expérience d'un deuil, deuil d'un pays, d'un espoir, d'une identité, il est, écrit-il, recherche de l'identité du deuil : "qu'est-ce qui est mort, que reste-t-il encore vivant, qu'est ce que l'on a réellement ou imaginairement perdu?" /.Cette recherche de l'identité du deuil est la marque que ce qui manque n'est peut-être pas distinctement désignable. Ce qui s'est absenté n'est pas parti comme cet objet que je retire à l'enfant, même si en apparence le mouvement est le même. Ce qui est en jeu n'est pas la simple disparition physique d'un objet mais la mise en question du code de représentations à partir duquel cet objet était pensé. C'est le système qui fait l'apparition du monde qui est pour ainsi dire questionné, déplacé, mis à mal dans l'exil. Le risque majeur de l'exil est davantage l'errance que l'imitation mimétique des discours, valeurs et représentations de l’autre. L'errance, cette divagation du corps et de l'esprit, insensible à sa propre trace, d'objet en objet, de signe en signe, sans espoir, sans retour et sans but.
Penser l'exil avec le fait du départ, c'est concevoir un moment où le sujet aurait miraculeusement coïncidé avec lui-même, où la société se lirait dans son langage comme dans un miroir, où se serait constituée, dans l'immobilité d'une essence, la pureté véritable d'une langue, transparente aux choses et comme mêlée à elles.
Or une telle pureté n'est évidemment qu'imaginaire, elle est l'illusion que le départ renforce davantage encore qu'il ne la crée. Ce qui me convoque au langage est bien cette distance, ce qui me convie au dialogue est bien cette différence que ma parole avoue sans cesse, et que d'une certaine façon le rapport antillais aux langues spécifie, même si ce rapport ne s’aperçoit que dans la rencontre avec une autre langue à laquelle nos langages ne cessent de se frotter. Quand l’autre langue se donne comme norme. Un tel rapport ne se vit pleinement que lorsque l'on est ramené à ce qui est dès lors désigné comme une pathologie de sa langue. L'étrangeté d'une langue qui ressemble à la mienne et qui pourtant…
Mais on voit bien que ce que nous venons d'indiquer ne s'éprouve pas par le simple fait du départ.
Qu'est-ce donc qu'un créolisme, sinon la mise à nu, ici même, de cet écart? Car le créolisme n'est pas une faute, il est la marque d'une différence dans la constitution du discours, il n'est pas une pathologie mais la manifestation de l'existence d'une autre organisation des signes. Or, la désignation de l'écart comme "créolisme", c'est-à-dire comme faute revient à tenter le dressage de la langue, à effectuer le partage entre la "bonne" et la "mauvaise" langue, à penser un passage d'une langue à l'autre, bref à penser ici même cette relation à la langue et aux choses vers lesquelles elles font signe, comme relation d'exil. L'exilé intérieur, comme celui qui a franchi les mers, vit donc avec le fantôme de "la" langue, qui vient border, dès ses premiers pas dans le langage, sa naissance à "sa" langue. Il ne rencontre pas le "fantôme de la langue" à l'occasion d'un départ, même si le départ le lui révèle plus spectaculairement. Ce fantôme est déjà là, au plus près de lui, et l'attend.
L'absence précède ainsi depuis toujours le départ de l'absent, et l'exil n'est pas toujours là où on croit. La langue nous le donne à connaître qui est le lieu par où l’exil nous vient et par où nous savons le mieux nous opposer à ses contraintes.
Daniel Maragnès, Pointe-à-Pitre, mars 2002

Publié dans philosophie

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<br /> <br /> Je me nomme Christiana, j'habite RIGGARGATAN 16 D, GALVE ,80286, SWE. j'ai pas l'habitude d'ecrire mon veçu sur les forums mais cette fois-ci c'est la goutte d'eau qui a débordé la vase.<br /> En effet mon homme avec qui j'ai fais 7 années de relation conjugal ou nous avons eu 2 enfants me laissa pour une autre et mieux ils se sont installés ensemble, 2 mois sans nouvelle c'est ainsi j'ai parlé de ma situation a ma collègue de service qui me donna le contact du Maitre marabout FAGNON tchetula dès que je l'ai contacter et expliqué ma situation il promis de dormir a tête reposé en 3 jours mon homme est revenu à la maison et très amoureux de moi ...(pour tous vos petits problèmes de ruptures amoureuses ou de divorces ,maladies ,la chance , gagner au jeux de loto , les problèmes liés a votre personnes d'une manière, les maux de ventre, problème d'enfants, problème de blocages, attirance clientèle, problème<br /> du travail ou d'une autre) voici le contact du maitre marabout FAGNON tchetula vous pouvez l'appelez directement ou l'ecris sur son wathsaap ou mail , il est joignable . <br /> <br /> Wathsapp : 00229 65 73 13 89<br /> <br /> E-MAIL: maitrefagnon.tchetula777@hotmail.com<br /> <br /> (La satisfaction est son soucis majeure )
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